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La dégradation des excréments,
indispensable pour les écosystèmes pâturés
Un bovin adulte produit en moyenne 12
bouses par jour, soit 4 kg en poids sec. Le
contenu des excréments comprend une partie non assimilée de
la ration alimentaire (sclérenchyme, tissus lignifiés, éléments
minéraux) et des substances d’origine interne
telles que des métabolites, des produits d’origine
microbienne. La persistance de bouses, de
crottins, en l’état, c’est-à-dire en l’absence de toute
influence “extérieure”, sur une parcelle
pâturée présente des conséquences non
négligeables :
- la surface occupée par les excréments provoque la création de
refus, les animaux privilégiant les zones “propres”.
A terme, cela entraîne un surpâturage sur le
reste de la parcelle tandis que les zones de
refus finissent par se fermer progressivement par les ligneux.
Cet embroussaillement sur certaines zones, le
surpâturage sur d’autres risquent de
provoquer une modification de la composition floristique,
une perte de la diversité au profit d’espèces à tendance
nitrophile voire la disparition d’espèces végétales d’intérêt
patrimonial pour lesquelles le pâturage a pu être
mis en place.
- en l’absence de décomposition, il se produit une immobilisation
de la matière organique et des éléments
minéraux contenus dans la bouse, d’où une
perturbation locale des cycles de la matière.
- les oeufs des parasites persistent
dans les bouses non décomposées, ce qui
multiplie les risques de transmission des parasites au bétail
et donc accroît les besoins de traitements sanitaires. On
perçoit rapidement l’importance du recyclage des bouses au sein
de l’écosystème pâturé.
Les
acteurs de la dégradation
L’intégration
des excréments au sein de l’écosystème fait intervenir
un ensemble de facteurs biotiques et
abiotiques.
Les
facteurs abiotiques
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Les conditions climatiques et microclimatiques (la pluie, le degré
d’humidité) influencent le processus de dégradation,
en structurant
la bouse, finalement composée de trois
couches :
- la croûte, qui se forme progressivement à la surface
- la zone intermédiaire, brun foncé, bien aérée grâce aux
galeries
creusées par les coprophages, soumise peu à
peu à la dessiccation
- la zone profonde, jaunâtre, milieu très réducteur, pauvre en
oxygène.
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Le
vent, la température et l’hygro métrie
locales
expliquent notamment
la
formation de cette structure
de la bouse.
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Par temps sec, sur substrat sec, la croûte se forme rapidement sur
la bouse, ralentissant la diffusion de molécules
émises, attractives
pour les coprophages. A l’inverse, la pluie
assure la dilution physique
des bouses, ce qui augmente la surface de
contact avec le sol
(étalement), et facilite donc le travail de
la faune coprophile et
coprophage.
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Le
piétinement et le transport peu vent,
à une échelle
plus grande, être
le fait du
bétail lui même...
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Les
facteurs biotiques
Les
insectes coprophiles sont attirés par les produits volatils émis
par les bouses. Des diptères (ex : mouches)
par exemple, y pondent
leurs oeufs quelques heures après le dépôt
de la bouse.
Ils sont vite rejoints par les coléoptères,
coprophages ou prédateurs,
qui s’installent jusqu’à 5 jours après
le dépôt, pour une durée de 15
à 20 jours. Parmi les prédateurs, on peut
citer les Hydrophilidae,
les Staphylinidae, les Histeridae. Les
coprophages, pour leur part,
ont une action mécanique de brassage et de
dispersion de la matière
fécale (cf infra). Des coprobiontes et des
micro-organismes
cellulolitiques (ex : Clostridium, qui
dégrade la cellulose) contenus
dans l’intestin de certaines larves de
coprophages facilitent la dégradation
des excréments ingérés.
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Coprophage
(kopros : excrément,
phagein : manger)
: qui se nourrit
d’excréments.
Coprophile (kopros : excrément,
philia : qui
aime) : qui vit dans les
excréments.
Coprobionte : organisme transformant
la matière fécale,
à l’exception
des fibres
végétales.
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Les coprophages peuvent être plus ou moins spécialisés.
Par exemple,
l’habitat d’Onthophagus furcatus est
composé d’excréments de
mouton, de chien, de blaireau (P. Dupont,
J.P. Lumaret, 1997).
Typocopris pyrenaeus préfère les
laisses de sanglier, mais est attiré
par tous les autres excréments, à
l’exception du crottin de cheval.
Du dixième jour à plusieurs semaines après
le dépôt, nématodes et
acariens colonisent le milieu.
Une fois la bouse disparue, la faune du sol, les bactéries et les
champignons
s’activent : les lombrics assurent un
enfouissement progressif
des fèces, qui prennent finalement part aux
couches supérieures
du sol. Les collemboles, acariens et
microarthropodes du sol transforment
aussi les bouses, assurant par ailleurs la
dissémination des
conidies (spores de champignons). Les bactéries
ammonifiantes augmentent
le recyclage de la matière fécale en
assurant la transformation
de l’azote organique en azote minéral.
Sans insecte pendant le premier mois suivant ce dépôt, il
faudrait
compter 1,7 à 2,2 fois plus de temps
pour voir disparaître la
bouse.
Pour un même excrément, une concurrence existe entre les différents
consommateurs, les asticots (larves de diptères)
notamment,
se développent au détriment des bousiers.
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Les asticots |
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Des
nématodes, des acariens et tous
les
micro-organismes abrités par le
tube digestif de
chaque coprophage
peuplent
également la bouse.
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La
part respective de ces facteurs
Selon
la région concernée, la vitesse de décomposition des bouses est
variable, dépendant à la fois des conditions microclimatiques et
de la phase d’activité des insectes.
En Méditerranée, sur un milieu sec, la disparition totale d’une
bouse peut prendre 2 à 4 ans alors qu’en région tempérée
humide, 100 à 150 jours suffisent (en moyenne). Dans ce dernier
cas, le phénomène est essentiellement dû à l’action conjuguée
de la pluie et des lombrics,
les insectes n’étant impliqués que pour 2 à 5 % seulement dans
la dégradation. En région à climat méditerranéen, le travail
des coprophages semble au contraire significatif.
Par ailleurs, la vitesse de disparition des bouses varie au cours de
l’année en fonction de nombreux paramètres :
- le régime alimentaire du troupeau et donc le type de couvert végétal
(taux plus ou moins important de fibres, d’eau dans l’herbe...),
l’âge, la race, l’état sanitaire du bétail présent,... qui
influencent la composition de la bouse
- les besoins des insectes coprophages,...
Au final, l’ensemble du processus de dégradation permet de
modifier la structure du sol, en augmentant notamment les capacités
de rétention de l’eau et surtout en assurant l’enrichissement
minéral des premiers horizons édaphiques. La végétation peut
alors profiter de cette minéralisation rapide de la matière
organique.
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Les
coprophages, place dans l’écosystème
et valeur écologique
Les
bousiers
Les
principales familles de coléoptères coprophages sont les Geotrupidae,
les Aphodiidae et les Scarabaeidae, regroupées généralement
sous le nom de “bousiers”. Ils font
partie de la superfamille des Scarabaeoidea, qui compte près
de 600 espèces en Europe occidentale et 273 espèces et sous-espèces
en France.
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Parmi
les autres insectes coprophages,
on note également
des représentants
de la famille des
Hydrophilides,
des Diptères...
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Les bousiers ont un comportement variable selon les genres. On
distingue des espèces pilulaires et des espèces
fouisseuses, les unes étant souvent diurnes, les secondes
nocturnes. Globalement, les espèces nocturnes ou crépusculaires
pondent dans les excréments ou emmagasinent des réserves
alimentaires pour elles ou leurs larves dans des terriers creusés
ou situés sous les bouses. Les espèces diurnes
peuvent intervenir sur place ou rouler des
pilules.
La matière fécale est plus ou moins filtrée par les Scarabaeidae
et les Aphodiidae à travers des rangées de soies qui éliminent
les grosses particules (ex : fibres) contenues dans les fèces. Chez
les Geotrupidae, au contraire, les brins de paille, les
graines, sont consommés comme
l’ensemble de la bouse ou du crottin.
| Les Aphodiidae |
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Cette
famille comprend une centaine d’espèces de petite taille, de
forme allongée, aux couleurs sombres, aux élytres noirs, rouges,
ou fauves.
Les Aphodius arrivent dans les premières minutes après le dépôt
de la bouse. Ils peuvent se poser directement sur l’excrément ou
à proximité,
terminant leur déplacement en marchant. La ponte a lieu directement
dans la matière fécale exploitée, dans la zone intermédiaire, aérée
et humide.
En Méditerranée, leur activité est
concentrée sur la fin de l’hiver, le printemps, ou l’automne
pour certaines espèces. L’été, les Aphodius (ex : A.
constans), comme tous les coprophages, sont quasiment inactifs. Aphodius
quadriguttatus est fréquent dans le Sud de
la France
, sur sols chauds, secs et bien drainés, par exemple les sols
calcaires souvent pierreux.
Les
Geotrupidae
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Geotrupes
mutator est présent dans
les
pâturages frais,
les sous-bois clairs,
sur sol argileux et sablo-limoneux,
sous les crottins
et bouses fraîches.
Geotrupes
stercorarius est localisé
en forêt, sous
les crottins de cheval
frais.
Thorectes
sericeus utilise
les crottes
de lapin ou
d’ovin. Il affectionne
les milieux sablonneux découverts |
Massifs,
puissants, les géotrupes sont des “troueurs de terre”
(fouisseurs) surprenants, aux couleurs sombres, aux reflets métalliques
(verdâtres, bleuâtres, violacés).
Ils creusent, en couple, des galeries sous la bouse, pour y abriter
ultérieurement réserves et oeufs. Les “chambres de
nidification” et les “puits de ponte” présentent un
agencement particulier au sein du terrier. Les parois de terre sont
tapissées de boudins d’excréments, de réserves destinées à
chaque larve.
L’alternance d’excavations et d’approvisionnements en excréments
assure le brassage et la disparition progressive de la bouse.
Certains géotrupes (ex : Thorectes), creusent leur terrier
à distance de la matière fécale, ce qui impose un transport de la
nourriture. Geotropus, Bubas creusent un terrier sous la
bouse, le garnissent de nourriture pour y pondre ultérieurement.
| Les Scarabaeidae |
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Leurs
formes sont variées. Généralement, leur allure est élégante ;
ils arborent des couleurs vives ou métalliques. Certains membres de
cette famille peuvent présenter des “cornes” situées sur la tête
et le thorax. Les Scarabaeidae ont un comportement
nidificateur très évolué et peuvent confectionner des boules
d’excréments (pilules) qu’ils font rouler jusqu’au terrier
situé plus loin de la bouse.
Le
rôle des coprophages dans l’écosystème
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En
Australie, les bousiers indigènes
étaient spécialisés
dans la dégradation
des excréments
petits
et secs des
marsupiaux. L’importation
de bovins, aux
bouses volumineuses
et humides, a
imposé
d’amener des
coprophages européens
et africains pour
permettre
une réduction
des volumes
considérables de
féces produits,
les coprophages
locaux n’étant
pas adaptés. Des
bousiers en provenance
du Maroc, de
la France
,
de
la Grèce
, de l’Espagne ont été
introduits. Sur
les 50 espèces testées,
22 se sont
acclimatées.
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Ils
participent à la dilacération, à la fragmentation et au transport
vertical des éléments. Les galeries créées facilitent l’oxygénation
du milieu, l’évacuation des gaz toxiques (ex : méthane) et de la
chaleur induite par fermentation même si leur action la plus
visible est la dégradation directe des excréments (bouses,
crottins,...). Par ailleurs, grâce aux galeries créées par ces
insectes, et où peut circuler l’eau, le sol joue un rôle d’éponge.
Ce travail profite également à de nombreuses autres espèces : le
brassage réalisé par les scarabéidés entraîne la mort de différentes
larves de parasites (ex : helminthes pulmonaires et intestinaux). Le
rôle des coprophages dans le maintien des équilibres biologiques
peut être illustré par le cas de l’Australie : suite à
l’introduction d’espèces animales domestiques et en l’absence
de coprophages adaptés à la dégradation de leurs bouses, les
mouches hématophages nuisibles (Buffalo fly) ont profité de cette
niche écologique vacante et se sont multipliées. L’introduction
de bousiers a été nécessaire pour rétablir les équilibres.
La poursuite de la décomposition de la matière organique dans le
sol se traduit par un travail important de la part des collemboles,
des lombrics, des bactéries et des champignons du sol..
Les invertébrés favorisent le développement de bactéries
ammonifiantes qui accélèrent le recyclage de la matière fécale.
Ces
rôles successifs assurent donc la circulation de l’azote au sein
des écosystèmes pâturés. Rappelons à ce effet que
l’agriculteur procède à l’épandage de cette matière
fertilisante pour accroître la production fourragère de ses
prairies.
Divers prédateurs profitent de cette palette d’invertébrés :
les lombrics alimentent les bécasses, les sangliers... ; les coléoptères
sont les proies privilégiées de certains rapaces,... Le bousier Aphodius
constitue la source d’alimentation essentielle du Grand Rhinolophe
(chiroptère), notamment des femelles pendant leur gestation
(d’avril à juin) et des jeunes émancipés (août).
Les insectivores, par exemple les taupes qui creusent des galeries
à proximité des bouses, trouvent dans cette faune associée une
alimentation facile et abondante.
La matière fécale n’est donc pas totalement minéralisée, son détournement
par les coprophages permet la réintroduction des éléments
organiques et minéraux au sein de la chaîne alimentaire.
Par ailleurs, cette action assure une disponibilité accrue des
substances nutritives de la bouse pour les végétaux dont la
productivité est alors plus importante.
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Des
animaux de grande valeur...
La
qualité d’un milieu naturel est communément appréhendée sur la
base de la valeur patrimoniale des espèces et des habitats présents.
Les inventaires et les évaluations de ces petites bêtes des
crottins, des bouses et autres excréments sont souvent oubliés au
profit de groupes mieux connus et d’identification et d’évaluation
plus aisées. Ce sont pourtant, comme beaucoup d’autres invertébrés,
des bio indicateurs de la qualité des milieux.
Au
contraire, et de façon assez exceptionnelle, la valeur économique
des bousiers a pu être estimée en Australie : 2
milliards de dollars par an. Ce montant est basé sur l’estimation des dépenses
qui seraient nécessaires en engrais supplémentaires, interventions
techniques et traitements sanitaires du bétail en l’absence de
l’action des bousiers. Cette approche de la valeur économique a
fait suite au programme d’introduction de bousiers en Australie
pour faire face au manque d’espèces capables de dégrader les
excréments des bovins introduits. Le coût de l’introduction était
de 1 dollar par tête de bétail par an pendant 15 ans pour chaque
éleveur.
L’exemple
des coprophages rappelle s’il en était besoin la difficulté
d’appréhender de façon globale les écosystèmes dans le cadre
des diagnostics écologiques, notamment par l’existence de
domaines particuliers, comme le monde de l’entomofaune, abordés
par de trop rares spécialistes. Associé à l’article suivant,
relatif aux traitements antiparasitaires, cet exemple montre que les
interrogations portent également sur les moyens d’accéder à une
gestion durable des espaces naturels.
http://www.conservatoire-du-littoral.fr/tmp/Revue%2046.pdf
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